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L’IER et le travail sur l’histoire immédiate

L’Instance Equité et Réconciliation a adopté pour son travail sur l’histoire immédiate des approches qui ne différent guère des approches académiques ayant cours dans l’université marocaine et autres, en se basant par exemple sur les références déjà publiées.

Une deuxième approche d’analyse de l’histoire immédiate, s’est basée sur la documentation dont disposaient les témoins de l’époque ou sur les archives officielles relatives à la question.

Si cette approche ressemble à ce qui communément appelé dans la recherche historique l’utilisation des archives officielles ou privées des témoignages oraux, ce qui caractérisait le travail de l’Instance dans ce cas, c’est que la question de la violence de l’Etat dans l’histoire immédiate a été pendant longtemps un des tabous du débat politique public, et par conséquent n’a bénéficié dans le cadre de la recherche académique que d’un intérêt minime pour des raisons dont la plus importante est le rôle de la censure officielle et de l’auto-censure, mais aussi l’effort méthodique des institutions de l’Etat pour cacher les archives y relatives ou comme cela a été confirmé par l’Instance, la non production de ces archives dans plusieurs cas.

Le travail de l’IER ne s’est pas limité à documenter ces cas par les archives des administrations centrales de l’Etat, mais s’est autant basé sur les archives des administrations locales qui n’avaient pas attiré l’attention des chercheurs auparavant : archives des hôpitaux, des morgues, des cimetières. Ces sources ont joué un rôle déterminant dans le dévoilement de la vérité concernant des cas de victimes des mouvements sociaux urbains à savoir ceux de Casablanca et de Fès (1965-1990). En plus de la valeur politique de ces résultats, ces derniers nous interpellent, du point de vue des méthodes de recherche, quant à l’apport et la valeur des archives locaux comme sources d’analyse de l’histoire.

La troisième approche concerne les investigations in situ de l’IER. L’Instance a organisé des déplacements pour découvrir des sites en relation avec les évènements qu’elle étudiait se basant aussi sur des archives officielles et privées et des interviews de témoins ayant vécu les évènements. Un des plus importants résultats de cette approche est la découverte de centres de détention secrets ce qui a permis de dessiner la carte la plus précise à ce jour de ces lieux, et de localiser plusieurs lieux d’enterrement pour des cas demeurés inconnus ou non documentés.

Ces résultats qui ont une grande importance dans la documentation de l’histoire immédiate du Maroc, mettent en exergue l’importante des recherches sur le terrain, l’observation directe et les entretiens demeurés marginaux dans la recherche historique dans nos universités pour des raisons qu’il est temps de discuter et de chercher à les dépasser.

Aussi les investigations ont démontré la nécessité de mettre à contribution les sciences appliquées dans les recherches historiques comme c’est le cas de la médecine légale et de l’archéologie.
Les recherches sur le terrain basées sur les entretiens avec les témoins pour la collecte d’information à propos de cas précis ou pour la définition du contexte historique et politique de la pratique de la violence de la part de l’Etat, sont aussi des techniques de recherche auxquelles peuvent avoir recours les chercheurs.

Cependant, les entretiens menés par l’IER et qui différent qualitativement de ceux des chercheurs sont les auditions publiques, qui ont été organisées avec les victimes dans des espaces publics et en présence d’un public composé de victimes, d’opposants d’hier et d’aujourd’hui et de représentants de l’Etat au niveau central et local. Ces auditions ont été aussi diffusées sur la télévision. Les auditions publiques ont mis en relief la caractéristique majeure du travail de l’IER par rapport au travail de l’historien, à savoir que l’un des objectifs majeurs de la mission que lui a assigné l’Etat était la réalisation de la réconciliation politique entre les victimes de la violence illégale de l’Etat et l’Etat responsable de cette violence.

Afin d’accomplir cette mission, l’Etat a doté l’Instance de l’appui matériel et des facilités administratives nécessaires qui ne sont sûrement pas à la portée du chercheur. C’est justement ce manque de soutien ainsi que les entraves administratives pour accéder à l’information et à la documentation qui constituent un des grands problèmes de la recherche académique sur le terrain. Ceci dit malgré l’importance de l’aspect logistique dans la recherche académique, les chercheurs chevronnés sont arrivés à le dépasser en contournant plusieurs entraves administratives.

Néanmoins la réconciliation politique en tant qu’objectif de l’action accomplie de l’IER grâce au travail sur le terrain, n’a pas encore bénéficié de ce qu’il mérite comme débat au niveau académique. Débat qui mérite d’abord une réponse aux questions suivantes : l’objectif de l’accomplissement de la réconciliation comme objet de l’étude de l’histoire immédiate est t-il un objectif légitime du point de vue académique ? Jusqu’à quel point l’IER a-t-elle atteint son objectif en se basant sur les approches citées d’analyse de l’histoire immédiate ? L’IER a-t-elle cherché à accomplir la réconciliation sur le compte de l’analyse objective de l’histoire ? A-t-elle sacrifié des données pour réaliser la réconciliation ? Est-ce que la façon qu’a choisi l’IER pour présenter ses travaux : se limiter à la publication du rapport final accompagné des enregistrements des auditions publiques, en gardant ce dont elle dispose comme documents et témoignages audiovisuels, pour une durée non encore déterminée, est une démarche concordante avec les pratiques des recherches académiques et avec l’objectif de la réconciliation ?

L’analyse de ces problématiques nécessite un espace plus large que ce papier succinct, elles ont besoin d’approches académiques élargies qui enrichiront sans aucun doute l’évaluation des approches méthodiques d’analyse de l’Histoire et nécessite en parallèle l’implication des acteurs dans ces champs de savoir. Ce besoin est d’autant plus pressant aujourd’hui au moment où l’université marocaine s’intéresse plus que jamais à l’histoire immédiate et aux méthodes d’investigation, et au moment où l’histoire immédiate elle-même est sujet d’un grand intérêt de la part de l’opinion publique à travers ce qui est publié dans la presse écrite.

Par M. Abdelhay Moudden, membre du CCDH et ancien membre de l'IER

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