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Internet, presse écrite et Droits de l’Homme dans les pays du Sud

Hantise et point de fixation (parce que d’oppression) pour tous les démocrates du Sud, l'audiovisuel, tout d’abord, est "hors champ". Il est, dans la quasi totalité des cas, aux mains des gouvernants, souvent "drivé" par des agents de la sécurité publique, de l’armée ou de propagandistes éprouvés. Indice de vérification ultime : les maisons de la radio et de la télévision sont toujours les premières cibles des putschistes, des manifestants, des émeutiers et - qui a intérêt à l’oublier? - de la coopération bilatérale ou multilatérale quand elle est basée sur une politique de dépendance entre le Nord et le Sud.

Informer ou éduquer?

Le champ politique et institutionnel stricto sensu n’étant pas le propre de notre propos, nous retiendrons par conséquent qu'il ne reste aux démocrates de ces pays, comme route ou piste à emprunter- au prix d’efforts et de luttes bien entendu- que la presse écrite. Un champ qui a quand même plus d’histoire dans ces contrées que l’audiovisuel, qui a une réputation séculaire à l’échelle universelle comme instrument libérateur, et qui a, malgré tout, été souvent d’une pertinence tangible par rapport à l’objectif de changement, raison d’exister du démocrate. La presse (qu’on pense à l’Afrique, à ses " conférences nationales ", aux diverses actions de soutien à la presse par différentes organisations internationales et fondations du Nord), est donc le quai de toutes les promesses, le champ stratégique pour des luttes concrètes permettant un rayon d’action ou d’impact appréciable. Dans certains pays, les démocrates et défenseurs des droits de la personne s’y sont engouffrés depuis des décennies (Maghreb et certains pays du Moyen Orient), dans d’autres, ils y ont débarqué - parfois dans une anarchie stérile- il y a plus ou moins deux décennies (pays francophones de l’Afrique subsaharienne, par exemple).

La constante à retenir de cette situation est que la presse occupe toujours dans ces pays le devant de la scène, parce que, entre autre, toutes les limites à Internet y sont encore massivement discriminatoires (infrastructures des communications et télécommunications, équipements, coûts, analphabétisme).
Tout en tenant compte de sa marginalité (dont l’importance diffère d’un pays à un autre), la presse, dans ces pays, participe, sinon initie, à la conquête des droits de la personne. En règle générale, dans l’isolement, dans la marginalisation et sous les coups de la censure, de l’autocensure, de l’intimidation, de l’emprisonnement, ou de l’assassinat, elle progresse par la dénonciation des situations et des violations, relayée et appuyée, à l’échelle internationale, par des individualités et des cadres de lutte pour la même cause. Mais, de plus en plus, les journalistes du Sud, militants des droits de la personne, se rendent compte que la dénonciation ne suffit pas, que la confrontation du politique, du militaire ou du policier, n’empêche pas de se retrouver quelque fois face à un citoyen qui viole lui-même, comme son bourreau classique, les droits de la personne (guerres et nettoyages ethniques comme cas de figure typiques)! Il n’y a pas que la colline du pouvoir militaro-politique à investir. Il y a des millions de collines à conquérir dans ces pays : des citoyens abreuvés continuellement à toutes les sources de discrimination, d’obscurantisme, d’intolérance et d’oppression. Aussi, la presse en tire-t-elle comme autre mandat à remplir, celui de l’éducation. En plus de sa traditionnelle mission d’informer.

Par là, en fait, la presse se confronte au dilemme : informer ou éduquer? Le débat d’une telle question équivoque, indique qu’il serait un leurre pour la presse que de vouloir éduquer sur les droits de la personne. Autant elle peut sensibiliser par l’information (sur l’exaction, sur le droit à revendiquer, sur le recours à emprunter), participant ainsi à rendre l’environnement favorable au développement d’une culture des droits de la personne, autant elle ne peut être conséquente dans le travail éducatif qui, lui, pour peu qu’il vise un changement de comportement irréversible et à long terme, exige la proximité, l’apprentissage concret, l’accompagnement quotidien et sur le terrain, la communication basée sur l’assistance et l’échange. Le journaliste prépare le biotope dans lequel intervient le militant éducateur. Les deux rôles ne sont pas interchangeables, mais complémentaires, dans la spécificité du travail de chacun.

L’alternative est-elle dans l’internet?

Quand on sait que l’audiovisuel, dans ces pays du Sud, est encore un "bunker", que l’école y est également un fortin âprement défendu par les stratégies du pouvoir, par la bureaucratie, par un discrédit accumulé (phénomène des diplômés chômeurs) et par une vigilance des appareils policiers qui n’hésitent pas la prendre d’assaut, il est toujours tentant de confier précipitamment la tâche de l’éducation à la seule brèche abordable, bon gré mal gré : la presse. Quid Internet comme alternative dans ce dilemme?
On pourrait sans grand risque de manquement à la contextualisation nécessaire, réintroduire ici le débat des gens du Nord sur la " démocratie électronique ", sur le "citoyen internaute", mais pour en circonscrire les promesses d’avenir autour de cet impératif de l’éducation dans les pays du Sud. Sans oublier toutes les limites d’accès à cet outil, on parierait alors sur une "cyberocratie d’étape" pour les pays du Sud, en confiant à Internet l’installation et la diffusion, dans l’interactivité, de ce qu’on appellerait une " information citoyenne". Un registre que le citoyen du Nord a à sa disposition le plus normalement du monde, presque dans la banalité des services routiniers.

Il s’agit ici de la diffusion et de la vulgarisation de textes de loi, de procédures, une sorte " d’alphabétisation juridique " ou d’alphabétisation concernant la règle de droit, comme lutte contre ce qu’on appellerait "l’illettrisme de la citoyenneté" ou "degré zéro du civisme". Une éducation qui, au delà de l’apprentissage et de la conscientisation, incite à l’organisation (mobilisation), au dialogue (tolérance), à l’information et son échange (implication/solidarité).
Une éducation qui rend accessible malgré moult obstacles, la formation (à distance), la mise en commun d’un objectif, d’une vision, des programmes d’action, des méthodes, des approches... Autant de tâches qui constituent justement ce à quoi veut prétendre la presse écrite, sans qu’elle y soit performante ni prometteuse : une étape de propédeutique, de préparation à l’éducation opérationnelle et pratique, qui, elle, relève de l’implication d’hommes et de femmes sur le terrain, sur les fronts concrets de tous les jours, au quartier, au village, dans les salles d’audience, dans les prisons, dans la rue.

Internet, annoncé au Nord comme "terreau" des citoyens du futur, recèle également des potentialités inouïes pour "l’aménagement", au Sud, de champs fertiles à une culture de base en matière des droits de la personne auprès du citoyen de demain, l’enfant d’aujourd’hui.

Parmi ses atouts, on pourrait nous arrêter uniquement sur la dimension ludique et envisager dans ces pays des projets consistant à faire adhérer aux valeurs des droits de la personne, par le biais de jeux, de fictions, d’images animées, de logiciels narratifs ou documentaires abordant des thématiques spécifiques comme les droits de l’enfant ou pour rendre des termes, comme "tolérance", "différence", "discuter", "voter", "respecter", aussi communs que le sont actuellement "gagner", "réussir", "acheter", "vendre". La banalisation des termes, charriant des valeurs, la familiarisation avec des situations, par le truchement de la fiction, ne sont-elles pas des points d’ancrage efficaces pour une "culture de masse"?

Pr.Jamal Eddine NAJI, Chaire Unesco. Rabat

«Communication publique et Communautaire »

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