Les archives de l’IER, une responsabilité pour demain
« La question de l'archive n'est pas une question du passé. [...] C'est une question d'avenir, la question de l'avenir même, la question d'une réponse, d'une promesse, d'une responsabilité pour demain » Jacques Derrida, Mal d'archive, Galilée, 1995L’Instance Equité et réconciliation (IER) a produit et reçu, durant sa mission, un grand nombre de documents relatifs à l’exercice de ses activités. Ces documents bien qu’ils aient été créés pour un besoin de gestion dans l’immédiat, renferment une valeur historique très importante du fait même du contexte de leur création. Les archives de l’IER ont été créées pour répondre à des besoins de recherche de vérité sur les violations graves des droits de l’Homme, pour établir des preuves, pour étudier une période historique, pour donner la voix aux victimes des années de répression, en somme, pour lever le voile sur des années sombres du passé du Maroc.
La question de la préservation des Archives que ce soit celles de l’IER ou autres, a bien été au cœur des préoccupations de la commission. D’abord parce que l’IER a été, tout au long de sa mission, confrontée à ce grand besoin en archives , que ce soit en vue de l’Etablissement de la vérité -Nécessité d’étudier le passé et l’analyser pour le comprendre-, de la réparation et la réhabilitation des victimes - nécessité d’établissement de preuves- ou encore, et avec force, de la réconciliation, puisque la réconciliation avec le passé ne peut se faire sans la reconstitution des faits, l’appropriation et l’identification à ce même passé et sans le souvenir vécu de manière non douloureuse. Ensuite parce que la question de la préservation de la mémoire, question fondamentale dans toutes les expériences de transition démocratique, passe, nécessairement, par la préservation de ce qui reconstitue cette mémoire et la documente : les archives. Quand elles survivent, les archives documentent l’histoire des sociétés, leur existence et leur évolution, établissent les preuves et garantissent les droits des citoyens.
Cette préoccupation a bien été traduite dans les recommandations de la commission qui a souligné la nécessité de préserver les archives qu’elle léguait. L’essence de cette recommandation reflète l’intérêt porté au principe de la préservation de la mémoire selon lequel il incombe à l’Etat de conserver les archives et les autres éléments de preuve se rapportant aux violations des droits de l’Homme dans le but de préserver de l’oubli la mémoire collective.
La préservation du fonds des archives de l’IER permettrait, en fait ; de préserver la mémoire institutionnelle consignée, nécessaire à la compréhension de la mission, des valeurs et des principes fondamentaux de la commission ; à l'interprétation de ses orientations et de ses politiques ; de préserver les documents susceptibles d'appuyer la recherche historique et de permettre de manière officielle aux citoyens et aux divers acteurs de la société d’accéder à une partie de la mémoire du pays jusque là occultée.
1- Qu’est-ce que les archives de l’IER ?
- Portée du fonds
Le fonds des archives de l’IER permet de suivre l’évolution du travail de l’Instance Equité et réconciliation, il documente les activités de l’IER et permet de connaître son interaction avec son environnement. Le fond documente également, à travers des études, des recherches, des témoignages …etc., une partie de l’histoire du Maroc durant la période qui s’étend de 1956-1999. Il inclut une collection de photographies ainsi qu’une importante collection d’enregistrements audio-visuels des témoignages des victimes, de leurs ayants droits ou d’acteurs politiques. Le fonds porte sur les activités de l’IER en tant que commission de vérité installée par SM le Roi Mohamed VI et renseigne sur sa mission, sa stratégie et ses plans d’actions.
- Nature et typologie du fonds
Le fonds est constitué de l’ensemble des documents, utilisés par la commission durant son mandat. A savoir les documents produits par la commission elle-même ou ceux en provenance de diverses autres sources (ONG, gouvernements, victimes, presse…). Physiquement le fond se présente sous divers supports : papier, documents électroniques, supports audio et audio-visuels (VHS, DV, DVD, Beta Cam, 6mm), photographies, bases de données.
Le fonds est, de manière générale, réparti en sous catégories incluant un fonds général comprenant les documents fondateurs, les rapports périodiques, les réflexions et contributions des membres..ect., un fond administratif comprenant tous les documents produits ou reçus par l’IER relatifs à la gestion administrative et financière de ses programmes, un fond des programmes de réparation, d’investigation, des auditions publiques…ect., un fonds des dossiers « victimes » comprenant les dossiers nominatifs par « victimes » , la base de données de traitement des dossiers…ect. Un fonds audiovisuel et photographique et un fonds des dossiers de la Commission Indépendante d’arbitrage
-L’accès au fonds
A priori, l’on pourrait dire que pour répondre aux objectifs cités auparavant, l’ensemble du fonds de l’IER devrait être ouvert à tout type de public sans restriction. En effet, cela est la raison d’être des archives en général et cela est le principe qui doit régir le fonds de l’IER. La question qui se pose donc n’est pas si oui ou non le fonds sera totalement ouvert au public ? Mais plutôt quand pourra t-il l’être? C’est une question à laquelle est confronté tout gestionnaire d’archives en général : le temps nécessaire pour que tels ou tels types de documents soient déclassifiés. Il peut aller de 0 à 100 ans.
Il faut, en effet, prendre en considération le fait que les archives de l’IER contiennent des documents comportant des données personnelles sur les victimes et leurs familles, des documents remis par les services de l’état contenants des informations confidentielles, des documents comportant des informations préjudiciables à des personnes tiers…etc. A ce type de documents, et pour des raisons éthiques et légales la réflexion sur des restrictions possibles d’accès est nécessaire.
2- Vers l’élargissement du fonds
Il est opportun aujourd’hui de profiter du travail entamé, de préservation des archives de l’IER pour l’intégrer dans une approche plus large comprenant l’aspect relatif à la préservation des archives liées aux droits de l’homme de manière générale, à commencer par la reconstitution de la mémoire du Conseil Consultatif des droits de l’Homme. En effet, les archives de cette institution documentent une partie de l’évolution du processus de démocratisation du pays et le processus du règlement du dossier des violations graves des droits de l’Homme y compris l’étape de création de la commission de vérité. Une démarche sans laquelle il manquerait une brique à l’édifice de la mémoire retraçant l’évolution des droits de l’homme au Maroc.
En parallèle et si le fonds des archives de l’IER existe sans qu’on l’est vraiment sollicité, la constitution d'une documentation historique sur une partie de l’histoire du pays nécessite quant à elle un travail d’enrichissement du fonds. C’est ainsi que l’on pourrait compenser les lacunes, compléter dans la mesure du possible le fonds, et élargir le champ documentaire des recherches à venir. En effet, nombre de sources précieuses d'information directes ou indirectes ayant trait à cette thématique reste dispersées chez des ONG, des institutions publiques ou simplement des personnes physiques. Des fonds tout aussi important existent à l’extérieur du pays. C’est dans ce sens que le travail de préservation de la mémoire collective et des archives de manières spécifique, ne peut se faire sans la responsabilisation et l’intégration d’un nombre important d’acteurs au sein de la société.
Reste également à souligner que si le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme est aujourd’hui le dépositaire des Archives de l’IER, qu’il se doit d’assumer la tâche de son traitement et sa conservation, l’emplacement final de ce fonds dans le future ne peut être que l’institution d’archives nationale, seule véritable garante de la protection et la préservation de l’ensemble du patrimoine archivistique national.
Par Asmaa Falhi, Chargée de mission