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Le Rapport annuel de 2008: Relation entre protestations et libertés publiques

Le rapport annuel du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme au titre de l’année 2008 s’est penché sur la question des rassemblements de protestation dans leurs relations avec les libertés publiques, en tant que thème principal, à côté de la presse et de la liberté d’expression.

Le rapport s’est d’abord arrêté sur le phénomène de la recrudescence de la protestation des citoyens au cours des dernières années. Des protestations qui ont pris la forme d’attroupements plus ou moins importants, utilisant l’espace public ou devant des institutions publiques ou privées, comme cela ressort des statistiques du ministère de l’Intérieur, que nous présentons ci-dessous, ou à travers leurs couvertures médiatiques. A tel point que l’on pourrait parler, à leur propos, d’un phénomène devenu quasiment habituel, en tant qu’expression libre des préoccupations des citoyens et un indicateur de l’élargissement de l’espace des libertés

Dans ce cadre, le rapport du ministère de l’Intérieur indique que le nombre de rassemblements publics tenus entre le 1er janvier et le 31 octobre 2008 a atteint un total de 5.508 rassemblements auxquels ont pris part quelque 330.000 citoyens. La préfecture de Rabat vient en tête des villes en ce qui concerne l’exercice de la liberté de rassemblement et de manifestation, avec 1.660 rassemblements durant la période précitée. Elle est suivie des préfectures et provinces de : Casablanca, 323 ; Meknès, 209 ; Safi, 197 ; Tata, 119 ; Jérada, 113 ; Laayoune, 111; Tanger-Asilah, 105; Beni Mellal, 103 ; et, Nador, 100, alors que 48 autres préfectures et provinces ont connu un nombre de rassemblements inférieur à 100, dans chacune d’elles.

Ces données quantitatives confirment l’étendue de l’extension de la pratique protestataire en termes d’espace et de temps : elle se produit dans les différentes régions dans des proportions inégales. Elle est continue dans le temps et ne revêt pas un caractère conjoncturel. Ce qui a amené le CCDH à ouvrir un débat sur les rassemblements de protestation dans leurs relations avec libertés publiques, notamment la liberté d’expression sous toutes ses formes, garantie par la Constitution et par les conventions internationales, ainsi que la liberté de réunion ; de même que sur la portée de son exercice sans porter atteinte à la sécurité publique et aux droits et libertés des individus.

Pour ces raisons, le CCDH estime nécessaire de réfléchir sur les moyens de traitement de cette réalité, au regard de ce qu’est advenue la pratique de protestation, de son extension dans le temps et dans l’espace, des événements qu’a connu la ville de Sefrou en septembre 2007, et avec plus d’acuité en juin 2008 à Sidi Ifni, et leurs risques pour l’exercice des droits et libertés.

L’analyse de la réalité de la pratique revendicative a démontré que cette pratique revêt plusieurs caractéristiques au Maroc, dont le caractère revendicatif, l’utilisation de l’espace public, l’organisation, le caractère pacifique de la protestation et l’extension du domaine de la protestation du point de vue du lieu, du temps et de l’objet. Dans ce cadre, le rapport a démontré que la diversification de la protestation et l’élargissement de son domaine ainsi que le nombre de personnes concernées, pose le problème du risque de la confrontation avec les autorités publiques en charge du maintien de la sécurité publique : La recrudescence des pratiques protestataires porte en-elle le risque d’évolution en manifestations avec ce qui pourrait les accompagner comme actes de destruction, de pillage et d’agressions…

De nombreux facteurs favorisent l’extension du domaine de l’acte de protestation, dont certains sont d’ordre général et d’autres d’ordre spécifique. Les facteurs d’ordre général sont relatifs en matière de droits et de libertés et aux défis des droits économiques et sociaux. D’autres facteurs expliquent cette extension dont la consécration de la culture de la protestation, la capacité des manifestants à s’auto-organiser, le fait de croire en l’efficacité du mode protestataire pour obtenir satisfaction des revendications, le soutien des manifestants par certaines organisations de la société civile ou de partis politiques et de syndicats ou autres.
Ainsi s’est forgée la conviction que la protestation aboutit à des résultats positifs. Elle est alimentée par plusieurs facteurs concourant tous au renforcement du recours à l’Etat, qui commence par la problématique de sa réponse au message protestataire.

Après ce diagnostic, le rapport a considéré que le message de protestation, étant donné sa forme et la manière de le faire passer, requiert une réponse urgente et positive quant à son objet. Mais, compte tenu de sa complexité, les réponses qui lui sont apportées sont souvent multiples et diversifiées, dans leur forme comme dans leur contenu, selon qu’il s’agisse du présent ou du futur.

L’acte de protestation, bien qu’il constitue dans son essence un message adressé à une partie concernée par l’examen de son objet et la réponse à y apporter, il est, sur le plan de la forme, adressé oralement et collectivement à partir d’un espace public ; ce qui fait qu’il transite nécessairement par le canal d’une instance en charge du maintien de la sécurité publique, en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, qui est concerné par l’acte protestataire sous l’angle de sa gestion afin qu’il ne porte pas atteinte à la sécurité publique qu’il est chargé de préserver (…)Ceci met les autorités chargées du maintien de la sécurité publique devant une équation difficile à gérer, du fait qu’elle ne peut pas interdire l’acte protestataire si celui-ci garde son caractère pacifique et soit confiné dans un lieu déterminé, mais elle ne détient pas non de réponse aux revendications des manifestants. C’est pourquoi, si elle ouvre le dialogue avec eux, c’est probablement pour faire évacuer l’espace public ou tout au moins atténuer la tension et les risques d’escalade pour les ramener au niveau qui ne menace pas sérieusement la sécurité publique ; sa réponse est liée à la forme du message de protestation. Ou bien elle laisse le message protestataire parvenir à la partie concernée, ou bien elle entrave cette transmission entrant ainsi dans la problématique de convaincre les manifestants de cette issue ou d’entrer en confrontation avec eux.

Elle consiste en l’ouverture du dialogue afin d’opérer une lecture et une étude conjointe de l’objet du message protestataire entre les manifestants et la partie concernée. Ce genre de réponse revêt une importance particulière tant pour le présent de l’acte de protestation que pour son avenir. Elle aide la première partie dans sa mission de protection de la sécurité publique, soit en évacuant l’espace public, soit en atténuant la gravité de la tension. Comme il pourrait aider la partie concernée par l’objet de la protestation à informer les manifestants des diverses données relatives à leurs revendications, le degré de leur légitimité ou non et les moyens disponibles, ainsi que les solutions possibles dans le présent et dans l’avenir et, partant de rétablir la confiance entre les deux parties. Cependant, le succès du dialogue implique, entre autres, la crédibilité des représentants des manifestants, la transparence du dialogue et la tenue des engagements afin d’éviter que leur non respect ne donne lieu à de nouvelles manifestations dans l’avenir.

Pour ce qui est de la réponse du présent et de l’avenir, elle soulève la portée de la possibilité d’une réponse à l’objet de l’acte de protestation et des moyens de l’éviter, d’une part, et du degré de la légalité de son exercice, de l’autre.
La cause profonde de la plupart des manifestations, apparemment justes, humaines et d’une extrême urgence, est qu’elles sont liées à des droits économiques, sociaux et culturels (emploi, habitat, revendications sociales, infrastructures…). Par conséquent, la principale réponse qu’il convient de leur apporter réside dans la poursuite des efforts de développement. Il convient de noter que la réponse par le développement exige des moyens, et reste tributaire de facteurs endogènes et exogènes ; ses retombées n’étant pas toutes perceptibles dans l’immédiat.

Dans ce cadre, et outre les initiatives visant le développement économique et social, il s’agit de compter sur la poursuite des efforts dans ce domaine, y compris la bonne gouvernance, la parfaite transparence et la poursuite :
-Des efforts de moralisation de la vie publique, en droit et en pratique ;
-L’implication des divers acteurs locaux dans la prise de conscience des problèmes et potentialités disponibles, des solutions possibles, des programmes arrêtés et des résultats réalisés ;
-L’ouverture d’un dialogue permanent avec les protestataires sur ces questions ;
- La diffusion à grande échelle de l’exercice responsable des droits dans la société et permettre aux gens d’accéder aux droits prévus

Ces actions sont à même de limiter les manifestations fondées effectivement sur un droit des protestataires, ainsi que les manifestations ne reposant sur aucun droit ou fondement, telle la contestation d’une décision judiciaire ou d’une décision administrative devenue non susceptible de recours, ou même si elle en susceptible, il faudrait poursuivre les voies de recours contre le jugement ou la décision au lieu de manifester à son encontre.
Il va sans dire que la diffusion de la culture de l’exercice responsable des droits devra être accompagnée également par la réforme de la justice, la réforme du système administratif et une mise en œuvre intégrale des recommandations de l’IER.

Concernant le volet juridique, le rapport a approché la question de la pratique protestataire e en partant des libertés publiques. Après avoir mis en exergue les lacunes de la loi actuelle en matière d’encadrement de la pratique de la protestation, le rapport a indiqué que l’expansion de la pratique de la protestation dans l’espace et dans le temps, et les incidents, poursuites et procès qui en découlent parfois, à l’instar des incidents survenus dans les villes de Sefrou et de Sidi Ifni, avec les plaintes qui les ont accompagnées à propos de violations des droits de l’Homme. Cette expansion appelle une réflexion sur la révision de la loi relative aux rassemblements publics, afin de mettre en place un cadre juridique clair garantissant la pratique des rassemblements pacifiques sans porter atteinte aux autres libertés, elles aussi garanties par la Constitution, en particulier les libertés de circuler et de se déplacer, sans porter atteinte à la sécurité publique qui constitue la limite générale à l’exercice des libertés publiques.

A l’issue de cette analyse, le rapport a posé avec insistance la question de la réflexion sur la révision du cadre juridique relatif aux rassemblements publics en vue de trouver un cadre clair pour les rassemblements permis pour exprimer une position et une revendication dans un espace public, tant que la plupart de ces manifestations est désormais socialement acceptée, qu’elles n’étaient pas connues lors de l’élaboration de la loi relative aux rassemblements publics et que la règle étant que ce qui n’est pas interdit par la loi est permis . Et, il revient à la loi de délimiter ce qui est permis pour des objectifs déterminés.

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