Les droits humains et l’Etat de droit
Suite du dossier du numéro 5
II) La proclamation des droits humains et leur construction dans le cadre de l’Etat de droit
Le développement économique dans un cadre de plus en plus mondialisé a fait apparaître des menaces particulièrement graves pesant sur les individus et les collectivités humaines ; les écarts de plus en plus grands entre ceux qui bénéficient des progrès réalisés et les laissés pour compte de la modernisation économique en attient un niveau considéré comme une menace pour la cohésion sociale.
La protection des enfants abandonnés, des femmes battus (6) des handicapés, des chômeurs, ne peut pas être assurée uniquement par le droit. Des textes existent par exemple la loi 10-03 du 12 mai 2003 relative aux accessibilités qui doit permettre une meilleure intégration sociale et professionnelle de ceux qui souffrent d’un handicap moteur.
De même l’adoption du nouveau Code du travail (2004) est un élément positifs pour la protection des travailleurs mais cela ne suffit pas à assurer le droit à l’emploi. De même la Mouddawana assure une protection juridique de la femme mais ne la protège pas de la violence conjugale.
La proclamation des droits économiques, sociaux et culturels n’a pas permis à elle seule d’enrayer le processus de marginalisation ou d’exclusion qui touche autant le monde urbain que le monde rural.
Chacun sait en effet que ces droits ne peuvent recevoir une application concrète que comme conséquence d’un développement économique, c'est-à-dire de politiques publiques combinant des moyens financiers, humains et matériels créant un environnement favorable à l’investissement et à l’initiative privée. Le code du travail ne permet pas à lui seul de créer de l’emploi ; la création d’emplois en nombre suffisant suppose aussi une formation appropriée des candidats à ces emplois, la localisation judicieuse des entreprises en fonction des ressources nécessaires mais aussi en fonction des équipements de base de conséquence d’une politique d’équipement régional équilibrée etc …
Il est tout aussi évident que le droit au développement ou le droit à l’environnement sont des droits en quelque sorte virtuels dont le contenu ne peut apparaître qu’au fur et à mesure de la mise en œuvre de politiques publiques appropriées mais en cohérence avec l’effort de toute la collectivité. Je pense pouvoir illustrer cela en évoquant les grandes orientations de la politique conduite ces dernières années par les gouvernements du Royaume sous l’impulsion de sa Majesté le Roi Mohammed VI avec le soutien du mouvement associatif de la société civile.
Les manifestations de ces préoccupations sont nombreuses et certaines déjà anciennes (A) ; elles préfigurent la politique globale lancée par Sa Majesté le Roi avec l’initiative Nationale pour le Développement Humain (B).
A) Environnement et développement durable : Des droits à construire
C’est en 1992 qu’apparait pour la première fois un sous secrétariat d’Etat auprès du Ministre de l’intérieur chargé de l’environnement ; en 1995 c’est un ministre à part entière qui en reçoit la charge ; actuellement c’est le ministre chargé de l’énergie, des mines et de l’eau qui assume cette responsabilité. Par ailleurs dès 1974 une organisation chargée de la protection de l’environnement a été mise en place ; elle est aujourd’hui régie par un décret en 1995 et comporte un Conseil national de l’environnement des conseils au niveau régional et provincial ; par ailleurs la loi sur la région confie au conseil régional la compétence pour prendre « toutes mesures tendant la protection de l’environnement ». On trouve naturellement une compétence identique dans le projet de statut d’autonomie pour les provinces du sud au profit des organes de la future région.
Ces instances ont pour but de préserver les équilibres écologiques, de prévenir et en cas de besoin de réduire les pollutions et les nuisances de toutes sortes et d’améliorer le cadre et les conditions de vie. Cette mission implique que les préoccupations environnementales soient intégrées dans l’ensemble des politiques publiques afin de réaliser les objectifs du développement durable (article 2 du décret 20 janvier 1995 relatif à la réorganisation des organismes chargés de la protection et de l’amélioration de l’environnement).
Mais la législation s’est également enrichi de trois textes particulièrement importants pour la défense de l’environnement publiés au bulletin Officiel du 19 juin 2003 (p.500 à 511) dont on peut dire qu’ils constituent avec la loi sur l’eau de 1995 une véritable charte nationale de l’environnement.
- La loi 11-03 du 12 mai 2003 relative à la protection et la mise en valeur de l’environnement : la loi édicte « les règles de base et les principes généraux de la politique nationale de protection de l’environnement ». Parmi ces principes généraux figurent l’intégration des préoccupations environnementales dans toutes les politiques et notamment dans la politique d’aménagement du territoire et celle de l’urbanisme ; il faut également souligner l’instauration du principe de responsabilité pour tous les pollueurs, et le volonté d’assurer le respect des pactes internationaux en matière d’environnement auxquels le Maroc a ahéré.
- La loi 12-03 du 12 mai 2003 relative aux études d’impact sur l’environnement oblige les promoteurs de projets de développement ou de création d’infrastructures de base à évoluer les conséquences à long terme des ces projets sur l’environnement. La loi comporte en annexe une très longue liste de projets soumis à l’étude d’impacte.
- La loi 13-03 du 13 mai 2003 relative à la lutte contre la pollution de l’air.
Les institutions et les règles sont en place, mais il faut naturellement faire fonctionner les institutions et faire respecter les prescriptions législatives et réglementaires ce qui n’est pas aisé dans une société où le « dehors » n’a jamais fais l’objet d’une attention aussi soutenue que celle qui s’impose aujourd’hui au regard des exigences de la protection de l’environnement. Une promenade dans les rues des villes ou dans les venelles des villages vaut mieux que tous les discours (7).
Il est clair que le « droit à un environnement sain » n’est pas seulement l’affaire des pouvoirs publics ; sa défense implique la prise en charge des responsabilités par tous ceux qui sont concernés et cela commence au niveau du douar dans les communes rurales ou du quartier dans les communes urbaines ! On pourrait donner d’innombrables exemples de la nécessaire mobilisation des élus et des citoyens sans laquelle ces politiques sont vouées à l’échec ; des études ont été faites sur Casablanca où le constat est souvent affligeant ; mais cela concerne aussi des bourgades rurales et je ne citerai que l’une d’entre elles que je connais depuis plusieurs décennies et qui se trouvait l’an dernier dans un état déplorable : il s’agit de ce beau village d’Azrou …
B) La politique globale de développement humain
En 1998 le Rapport Mondial sur le développement Humain classait le Maroc au 125ème rang. Quelles que soient les discussions sur la fiabilité des indicateurs utilisés pour obtenir ce résultat il était incontestable que la situation du Royaume impliquait une sérieuse reprise en main qui a été concrétisée dés 1999 par l’engagement de Sa Majesté Mohamed VI de lutter contre la pauvreté et les inégalités de développement.
On a observé que le Maroc n’était pas sans expérience en ce domaine avec l’action de l’Entraide nationale et de la Promotion Nationale, de la mise en œuvre depuis une dizaine d’années des programmes d’adduction d’eau, d’électrification et de désenclavement du monde rural. Mais il fallait sans doute aller plus loin et c’est l’objectif poursuivi par le Roi lorsqu’il a lancé l’initiative Nationale pour le développement Humain (INDH) dans son discours du 18 mai 2005.
« Dans des données montrent que de larges franges de la population marocaine et des zones entières du territoire national vivent dans les conditions difficiles et parfois dans une situation de pauvreté et de marginalisation qui est incompatible avec les conditions d’une vie digne et décente que nous souhaitons pour nos citoyens. »
- s’attaquer au déficit social dont pâtissent les quartiers urbains pauvres et les communes les plus démunies en améliorant l’accès aux équipements et services sociaux de base (santé, éducation et alphabétisation, eau, électricité, habitat, salubre, assainissement, réseau routier, infrastructures culturelles, notamment pour les jeunes etc …).
- Promouvoir les activités génératrices de revenues stable et d’emplois
- Venir en aide aux personnes en grande vulnérabilité;
« L’initiative nationale pour le développement humain n’est ni un projet ponctuel, ni un programme conjoncturel et de circonstance. C’est un chantier de règne ouvert en permanence».
Cette affirmation du Souverain est amplement justifiée par l’ampleur des besoins et l’incontestable inertie de la société qui ne peut être modifiée que dans le cadre de politiques à long terme et avec la participation de tous.
Il est évident en effet que cela ne peut se faire qu’avec la collaboration active de la population, des acteurs publics et privés et des membres de la société civile.
Les entreprises viennent d’ailleurs de s’engager dans ce combat en effet la Confédération Générale des Entreprises Marocaine (CGEM) a adopté une charte qui vise à faire participer l’entreprise au respect des droits humains à la protection de l’environnement, à la lutte contre la corruption (8) et d’une façon générale à développer l’environnement, sociétal de l’entreprise : il s’agit de la charte de « la Responsabilité Sociale de l’Entreprise » (9)
La mobilisation des énergies et des moyens internes qu’implique cette politique globale bénéficie du renfort des aides extérieurs et notamment de l’Union Européenne dans le cadre du plan d’action Maroc UE concrétisant la nouvelle politique de voisinage.
A ce titre le Maroc a bénéficie d’un programme d’appui budgétaire à la politique de résorption de l’Habitat insalubre et spécialement à son volet « Ville sans bidonville » qui touche une des plaies sociales les plus aigües dont souffre le monde urbain.
Ce programme engagée en 2005 est entré dans une phase active de réalisation en 2007 mais se heurte à d’énormes difficultés qui sont à la fois techniques, financières et humains notamment à Casablanca.
L’équilibre régional est également au centre de cette politique de développement humain ; les agences de développement des provinces du Nord, de l’Oriental, ou des provinces du Sud ont un rôle éminent à jouer pour mettre sur pied des projets, mobiliser les ressources financières, mettre en réseau les acteurs publics et privés concernés de façon à maximiser la rentabilité des moyens dont chacun peut disposer.
Chacun aura compris en écoutant ce que je dis que nous sommes loin du droit des manuels, des codes et des prétoires ; mais que nous sommes cependant au cœur de l’Etat de droit qui ne se borne plus aujourd’hui au seul respect des droits individuels et des libertés collectives qui est à peu près assuré mais uniquement pour ceux qui sont capables socialement économiquement et culturellement de s’en prévaloir.
Aujourd’hui l’achèvement de l’Etat de droit ne peut être réalisé que par la généralisation des droits civils et politiques et la concrétisation de ces droits de la deuxième et de troisième génération qui dépendent moins des textes et des juridictions que d’un combat permanent de la société toute entière pour un développement durable au bénéfice de tous.
Pour la réussite de ce combat, je pense qu’il est essentiel pour les pouvoirs publics nationaux et locaux de mobiliser les énergies de la société grâce notamment aux associations, à toutes les associations et pas seulement à celles qui sont spécialisées dans la défense des droits de l’homme, car elles sont un stimulant dans toutes sortes de domaines et sont ainsi à l’avant-garde des actions de proximité sur lesquelles repose largement le succès de cette entreprise ; c’est d’ailleurs l’un des objectifs recherché par les responsables du Centre de Documentation, d’Information et de Formation des Droits de l’Homme qui ont organisé les 25 et 26 avril 2008 un symposium consacré à l’élaboration du Plan d’Action National en matière de la Démocratie et de Droit de l’Homme (PANDH) (10). C’est ainsi ce but que va poursuivre le Centre de recherche Euro-Africain des droits de l’homme, qui vient d’être créé par la faculté de droit de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech (11), Marrakech où le tissu associatif est je crois un exemple de dynamisme au service des droits humains.
C’est sans doute de cette façon même si ce n’est pas la seule, que l’Etat de droit pourra être enfin synonyme d’un développement humain durable respectueux de la dignité et de l’équité par tous.